Le Brelin aux Menuires : un paquebot des Alpes entre héritage et défis écologiques

Dédale à la neige. On peut se perdre dans ce paquebot qui flotte sur la vallée des Belleville. Douze étages, 300 mètres de long, 560 appartements, 2000 lits, 19 ascenseurs et des coursives à n’en plus finir. Avec sa galerie commerçante, le Brelin pourrait tenir un siège. L’une des plus grandes copropriétés des Alpes. Ses résidents peuvent affronter les tempêtes, faire leurs courses sans mettre le nez dehors, pantoufles aux pieds.

À travers les baies vitrées du bar, on admire, au chaud, la Masse, sommet des pistes, dans la bourrasque. Ce côté fonctionnel, le concept « skis aux pieds », inventé à Courchevel, poussé au paroxysme, c’était l’argument de vente du bâtiment inauguré le 8 décembre 1971 par Joseph Fontanet, maire du cru et ministre du Travail, père de l’aménagement de la plus populaire des trois vallées.

Las, sa silhouette digne des grands ensembles urbains, son béton armé que les nuances minérales des ardoises – importées de Normandie ! – équilibraient pourtant, collaient irrémédiablement au crépi du Brelin. Posé horizontalement dans la pente, l’immeuble signé Philippe Douillet, pensé depuis Paris quand, ailleurs, les architectes de stations avaient planté leur atelier in situ, subissait la même avalanche de critiques que ses voisins en aval formant le fer à cheval du front de neige.

Le « Sarcelles des neiges »

En 1964, les Menuires – sans accent s’il vous plaît – devenait, après La Plagne, la deuxième station champignon à éclore avec la pluie des droits à bâtir du Plan Neige. La seule dont le promoteur était une émanation de l’État, la Caisse des dépôts. Poussaient alors deux tours grises, dont l’une aujourd’hui occupée par le village vacances Belambra, puis la Croisette, centre de gravité aux neuf copropriétés et 60 commerces jalonnant 1500 mètres de galeries couvertes. Connecté à ce quartier par un ascenseur incliné, le Brelin avait beau se hisser du col, il continua à alimenter le bashing des Menuires, « Sarcelles des neiges » dixit la presse.

Cinquante ans après, dans les colloques, Laurence Rivail, patronne de la SEM Rénov, structure créée par la commune des Belleville pour réchauffer le patrimoine bâti de la vallée et ses trois stations (58 000 lits avec Val Thorens et Saint-Martin) entend toujours certains railler « les cages à poules » des Menuires. Les gens parlent sans savoir.

« On a le problème inverse de Courchevel, notre image continue à être un sujet à travailler mais nos taux de remplissage sont incroyables », constate Marlene Giacometti, directrice de l’office de Tourisme. De cette architecture moderne, la station a fait une contre-offensive marketing. Suivant l’adage de Cocteau : « Ce qu’on te reproche, cultive-le. » Ou d’un animateur d’Interneige, Léon Zitrone. « Qu’on parle de moi en bien ou en mal, l’essentiel, c’est qu’on parle de moi. »

Le prix du m² dépasse les 9000 €

Aujourd’hui le Brelin est classé patrimoine du XXe siècle et le prix du m² dépasse les 9000 €. « Pour moi, c’était le Brelin, ou rien » nous dit cet employé de la station, qui a patienté deux ans avant d’acquérir le studio de ses rêves. Parmi les illustres propriétaires, les Chirac. Bernadette a les honneurs d’une promenade à son nom, alentours. Alors, devenue tendance, l’architecture des Menuires ? « Il n’y a pas eu d’erreur » insiste David Dereani, à la Fondation pour l’Action Culturelle Internationale en Montagne de Savoie.

Si la forme d’urbanisation choisie à sa fondation a surpris « à commencer par les locaux », elle répondait à une demande et aux contraintes du site. « Dans cet immense champ de neige, à 1700 m d’altitude, il fallait rassurer les vacanciers, construire en hauteur pour que les gens puissent se repérer avec des bâtiments comme des phares. »

Le Brelin s’est bonifié avec le temps

L’idée du Plan neige est de rendre accessible la montagne au plus grand nombre. D’où ces résidences déconnectées de l’architecture traditionnelle mais connectées aux pistes et cette ultra concentration de lits bon marché en un espace réduit. « On construit en hauteur ou longueur, laissant la part belle au domaine skiable. » En tenant compte des risques de glissement de terrain.

Le Brelin a fini par se bonifier avec le temps et la montée en gamme de la station. Opérant des regroupements d’appartements, les propriétaires ont modifié les espaces. On trouve de beaux volumes, tel ce triplex, appartement témoin de la commune qui, depuis 2003 a sa structure pour rénover ce bâti. Et conjurer un péril qui guette les stations : les lits froids, occupés moins de 4 semaines par an.

En 20 ans, la SEM Renov a aidé 630 propriétaires à donner un coup de frais à leur pied à terre, soit 3000 lits. « Sachant qu’il s’en rénove autant sans aide », précise Laurence Rivail. Grâce au dispositif ORIL (opération de rénovation de l’immobilier de loisirs), 4,2 millions € de financements collectés par la commune, la SEVABEL et la SETAM, les opérateurs de remontées mécaniques de la vallée -les plus rentables de France- ont été distillés à des privés. À la condition qu’ils mettent en location leur bien pour 12 semaines par an minimum.

Une passoire thermique

L’accompagnement n’est pas que financier (300 euros/m²). Il s’agit aussi de mettre les particuliers en relation avec architectes et professionnels dans un souci d’éco-responsabilité. Prochain défi pour la SEM Rénov, embarquer les copropriétés dans la nécessaire rénovation énergétique. « Le Brelin est une passoire thermique », admet Laurent Rivail, comme un bien sur deux aux Menuires. Or avec la dernière loi sur les meublés touristiques, il faudra se mettre aux normes dans les dix ans pour continuer à louer.

Dieu qu’à travers cette station, notre regard a changé depuis les années 70. Par sa faible emprise au sol, son architecture intégrée s’avère finalement plus en cohérence avec les enjeux environnementaux du moment que les alignements de faux chalets suisses aux volets clos dix mois sur douze.

Article issu du Dauphiné Libéré

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